Le Touzé Estelle
SALON DES REFUSES
Une visite au salon des Refusés – le déjeuner sur l’herbe - Manet
Chouette, j’ai réussi mon coup : me faire passer pour critique d’art dans ce « Salon des Refusés » ! Faut dire qu’avec ma casquette de barbouilleur, ils n’y ont rien vu. Et hop ! Une entrée gratis.
En réalité, ma vraie passion, c’est la nature. Dès potron-minet, je vagabonde dans les bois, je m’étends de longues heures sur la terre moussue et odorante, je cueille les champignons encore visqueux et récolte les baies sauvages, croquantes et juteuses.
Mais mon père a décidé que je serai peintre. Peintre en bâtiment, qu’il m’a dit, parce que ça construit dans tout Paris. Mais moi, ce qui m'intéresse, c'est peintre décorateur.
Alors, quoi de mieux pour se former à la couleur que de fréquenter les expositions !
Oh ! C’est quoi, ce tableau ?
Un sous-bois avec des arbres et du feuillage à peine distincts ! En vrai, ce n’est pas comme ça. Au p’tit matin, la lumière perce doucement à travers les branches et à l’heure de midi, c’est encore plus éclatant. Où sont donc les taches de lumière ? Bizarre. Et puis cette clairière ocre, mâtinée de vert d’eau un peu saumâtre.
Ils se contentent de peu, ces bourgeois qui piqueniquent avec la dame. Et puis, elle, toute nue, va attraper un sacré rhume, les fesses ainsi posées sur la terre humide. C’est peut-être même marécageux, ce coin, vu que l’autre dame semble faire la vaisselle au bord d’un étang glauque.
Ah ! Pas mal, la nourriture débordant du panier. Bon, les châtaignes en cette saison, ça ne va pas. Quant aux champignons, ce sont des mauvais. Il n‘y connaît rien à la nature, ce peintre. A croire qu’il a inventé la scène, le bougre.
Bon, allons regarder les suivants…
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Guernica, impressions
Imaginez une vaste fresque en noir et blanc, fresque d’un désastre, somme de souffrances où hommes et bêtes gisent, écartelés, violentés, hurlant sous une lumière crue qui n’épargne aucun espace du tableau.
Picasso choisit d’abord des formes simplifiées qu’il complexifie pour mieux en saisir toutes les facettes. Il compose la scène dans des obliques et des triangles durs. Veut-il rendre compte de ce ravage sur les générations à venir par l’éparpillement de notes écrites : poèmes ? sagas ? fictions ? Pourtant, à droite et en hauteur du tableau, une fenêtre, étroit passage carré, ouvre sur une tache de ciel. Libération ?
Picasso nous assène la guerre mais aussi sa résistance et son espérance face à la folie du pouvoir absolu.
Détails …
Le taureau, bête puissante, fière et combative jusqu’à la mort. Le taureau ou le toréador ? Aujourd’hui, le taureau.
L’ange de la miséricorde tend sa lampe à humble lueur au-dessus des hommes meurtris. Lève-t-il une graine d’espérance ? Le dessin délicat de ces yeux rassemblés – ce sont les seuls parmi les personnages du tableau - et un bras passant progressivement de l’ombre à la lumière annoncent peut-être une croyance en la rédemption du monde ; plus sûrement, une victoire des forces de vie.
Le cheval, cet innocent ami de l’homme, sombre aussi dans le délire. Son cou se tend en un hurlement rentré, ses narines outrageusement dessinées aspirent avidement l’air chargé de sueur et de sang. Dans une souffrance extrême, sa gueule explose, abandonnant vers le néant, yeux et cerveau réduits.
Une lumière violente s’abat sur la scène de malheur. Spectateurs, ne passez pas votre chemin. Voyez, ouvrez grand les yeux et tendez l’oreille. Non, ne baissez pas le regard. Assumez le tragique de notre condition trop humaine, part maudite gisant en chaque être.
Estelle